Le syndrome de Médée, parcours sadique de la perte d’amour dont les enfants deviennent les otages infortunés
Le syndrome de Médée est une modalité de harcèlement mise en œuvre par un parent voulant priver son/sa conjoint/e de la relation avec ses enfants et apparaissant à l’occasion d’une rupture conjugale. Ce concept ajoute des dimensions psychopathologiques importantes à la notion d’aliénation parentale : utilisation de l’enfant pour se venger, deuil sadique d’amour, retour de rites sacrificiels chez des sujets avec trouble de la personnalité confrontés à des relations d’amour dramatiques. Les aspects cliniques et légaux du syndrome sont analysés dans le but de fournir des clés valables de décision médicale. Le syndrome de Médée est une réaction destructive très grave avec impact négatif majeur sur les enfants et les adultes. (…)
Antonio Andreoli
Rev Med Suisse 2010;6:340-342
Introduction
Je me propose de discuter le concept de syndrome de Médée et d’explorer, par son entremise, la psychopathologie des conduites de harcèlement qui sont mises en œuvre par des parents cherchant à priver leur conjoint/e de son/ses enfants. Les praticiens doivent connaître ce tableau en raison de son relief clinique et juridique grandissant en médecine de premier recours.1 L’augmentation significative des séparations conflictuelles favorise, dans un contexte social et culturel éclaté, l’enlisement des situations de divorce litigieux dans des impasses dramatiques dont les enfants deviennent les otages infortunés.
Un médecin averti de l’existence de ce tableau pourra prescrire des mesures valables de prévention et traitement que nous allons détailler. La connaissance des facteurs psychologiques et culturels œuvrant dans ce syndrome l’aidera à mieux comprendre la souffrance traumatique du parent privé de sa progéniture et l’arrière-pays d’un comportement se fixant l’objectif de réduire son propre fils à la condition d’objet de vengeance. Ces deux dimensions sont les grandes oubliées des actuelles classifications.
Le syndrome de Médée a l’avantage de contraster cette approche en mettant l’accent sur les complications tragiques de la vie amoureuse, une vision chère au regard psychodynamique sur les crises de vie. (…)
Clinique du syndrome de médée
Le harcèlement visant la privation violente d’enfant a des présentations excessivement variées et il faut le couvrir par le concept de syndrome de Médée, pour souligner la grande diversité des situations en présence, le complexe de Médée visant plutôt à désigner la commune racine de cette clinique dans un parcours sadique de la perte que le mythe grec a magistralement éclairé.
En pratique, une démarche structurée et impitoyable est mise en place, visant à entraver l’accès à l’enfant mais aussi à placer la victime dans une situation d’impotence pour mieux sévir, élément sadique pathognomique du syndrome. Des comportements d’intimidation et d’exclusion sont adoptés également envers les proches et alliés de la victime, médecins compris.
Les enfants sont les premiers à subir des pressions morales afin qu’ils refusent de suivre le/la conjoint/e mais aussi de lui parler lors des visites, des téléphones, à l’école et même en cas d’hospitalisation. Il s’agit en somme d’une forme organisée de maltraitance qui porte sur une dimension vitale de la vie affective et se traduit par des effets psychotraumatiques très importants. Celui ou celle qui en font les frais sont à considérer à tous points de vue comme des victimes.
Du côté de celles-ci, on remarque un syndrome de stress post-traumatique d’intensité variable en rapport avec l’horreur d’être privé de ses enfants. Le père/la mère privé/e de l’enfant souffre aussi souvent de dépression, de troubles anxieux et peut tenter le suicide. On s’apercevra ensuite que le syndrome de Médée a une histoire, et que pour le père/la mère le divorce a été une délivrance.
En d’autres mots, la privation d’enfant prolonge un rapport de couple à l’enseigne du caractère tyrannique de l’époux/se maltraitant/e qui n’hésitera pas à se servir d’accusations infondées d’inadéquation, de violence et même d’abus sexuel susceptibles d’engendrer un sentiment paralysant d’horreur. Soutenues par un sentiment de supériorité morale et une attitude de mépris, ces plaintes témoignent d’autre part d’une bonne conscience déconcertante.
(…)
Genèse intersubjective du syndrome de médée et retour des rites de proscription dans la société civilisée
Médée jouit du soutien d’un entourage qui forme autour d’elle une «pseudo-communauté» l’aidant à atteindre ses buts. Dans notre société multiculturelle, cela se nourrit de l’affrontement de cultures inconciliables chez des groupes fermés, habités par des croyances magiques et inféodés à des loyautés patriarcales ou matriarcales. On est étonné de découvrir combien souvent les membres de professions soignantes, sociales ou juridiques qui sont supposés porter les valeurs de l’état de droit, montrent par contre des réactions d’évitement, de dénégation, voire de complaisance envers le/la maltraitant/e. Trauma sur trauma, ces attitudes ont un effet redoutable sur la victime. Privée de for où sa cause pourrait être entendue, elle entamera cette voie finale de la détresse traumatique consistant à se percevoir comme anéantie et privée d’identité. (…)
(…) C’est pourtant une banale peine d’amour qui est à la base de tout cela… et le problème, c’est bien la démesure du syndrome de Médée par rapport à la réalité de ce qui est en train de se passer. Mais dire émergence d’un rite collectif, c’est dire aussi dislocation de la logique de notre rapport avec la réalité. Cela pose le problème de savoir comment intervenir efficacement auprès de l’individu ou du groupe maltraitant. Il est vain d’espérer que des personnalités aussi grevées de troubles de la personnalité acquiescent à autre chose que l’intimidation pénale. Et il ne sert à rien de prescrire médiations ou traitements tant que cette folie n’a pas été sanctionnée. Médecins et juristes devraient donc être conscients que paranoïa et sadisme sont tels dans le syndrome de Médée que seule l’intimidation pénale peut arrêter ces sujets délirants qui ne deviendront jamais fous. La mère ou le père qui s’entêtent à vouloir priver le/la conjoint/e de ses enfants sont en fait habités par le sentiment d’être des justiciers : leur cause doit donc être entendue et jugée, sans quoi les bonnes intentions de la pédagogie ou de la psychothérapie ne pourront rien. Force est de constater que des législations prévoyant ce délit, mais aussi des mesures de puissance partagée, assorties de peines sévères pour le non-respect des droits des ex-époux [et le droit des enfants], ont donné des résultats encourageants (Zizolfi, 2009, communication personnelle). C’est donc bien la voie qu’il conviendrait de suivre à l’avenir.
> Le syndrome de Médée est important en raison de la gravité extrême de la souffrance infligée et de la fréquence augmentée des séparations conjugales aboutissant à des confrontations hostiles et stigmatisantes
> Des interventions médicales spécifiques s’imposent, et ont un certain succès, en particulier chez la victime
> L’entourage proche, mais aussi les professionnels, réagissent parfois à la survenue du syndrome de Médée par des réactions d’évitement ou de dénégation que le médecin doit bien connaître, s’agissant de comportements pouvant beaucoup aggraver le stress traumatique de la victime
> Des nouvelles législations devraient permettre de mieux reconnaître le caractère délictueux de la privation d’enfant à but de vengeance passionnelle et de sanctionner cette conduite de façon appropriée
Bibliographie
- [*] Palmer SE. Custody and access issues with children whose parents are separated or divorced. Can J Commun Ment Health 2002;4(Suppl.):25-38.
- Stern ES. The Medea Complex. J Ment Sci 1948;94:321-31. [Medline]
- [**] Depaulis A. Le complexe de Médée. Quand une mère prive le père de ses enfants. Bruxelles : Editions De Boeck Université, 2008; 169 p.
- [**] Euripide. Médée. Paris : Hachette, 1992.
- Lansky MR. The impossibility of forgiveness : Shame fantasies as instigators vengefulnness in Euripide’s Medea. J Am Psychoannal Assoc 2005;53:437-64.
[*] à lire [**] à lire absolument
Contact auteur(s)
Antonio Andreoli
, Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise
HUG, 1211 Genève 14
antonio.andreoli @ hcuge.ch
source et texte complet : medhyg.ch
« L’aliénation parentale consiste à éliminer un ou plusieurs parents (mère, père, grands-parents…) de la vie d’un enfant. Cette » (…).
«Il s’agit d’un désordre psychologique qui atteint l’enfant lorsque l’un des parents effectue sur lui, de manière implicite, un «lavage de cerveau» visant à détruire l’image de l’autre parent. »
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